Athena

Langues d'Europe

Europe

Dès le lendemain de son élection à la présidence de la République, Nicolas Sarkozy a réactivé le chantier institutionnel de l’Europe. Deux ans après le Non français, l’Elysée espère maintenant que le Conseil européen des 21 et 22 juin prochains débouchera sur un compromis sur la base de propositions présentées par la présidence allemande, compromis qui sera plus une révision discrète des règles en vigueur qu’un nouveau traité. Le chef d’Etat le plus difficile à convaincre sera sans aucun doute Tony Blair, relayé par son successeur imminent Gordon Brown. Il conviendra donc, selon les experts, de limiter les abandons de souveraineté et tout ce qui ressemble à une constitution. En revanche, il est peu probable, hélas, que l’on remette en cause le principe de la langue de travail unique, l’anglais en la circonstance (voir http://www.polemia.com/contenu.php?cat_id=19&iddoc=1470).

Cependant cette question du plurilinguisme reste entière et elle a ses défenseurs au sein même de l’organisation communautaire. Un correspondant de Polémia vient de nous faire découvrir Athéna, Association pour la défense des langues officielles de la Communauté européenne, en nous transmettant une des toutes dernières communications de cette association qui a provoqué un échange percutant entre un tenant de la globalisation et le président d’Athéna. Avec l’accord de cette dernière, nous livrons l’ensemble de ces communications à nos internautes. — Polémia.

« Le processus d’intégration de l’Europe transformé en processus de colonisation»

L’environnement linguistique et culturel mondial et surtout celui de l’Europe en marche souffre, depuis un certain temps, d’une pollution de plus en plus inquiétante, celle qui émane de la langue unique imposée comme véhicule de la pensée unique de la globalisation. Or, si l’hégémonie d’une seule langue et d’une seule culture constitue un problème pour les pays du monde entier, pour l’Europe, confrontée aux problématiques d’un processus d’intégration avancé, elle constitue une véritable calamité.

Ce fait est, en réalité, de nature à transformer le processus d’intégration de l’Europe en un processus de colonisation qui compléterait celui mis en place déjà, dans le reste du monde, par la globalisation néolibérale et, par le même biais, placerait dans le berceau de l’Europe unie le germe de la discorde et du conflit. L’histoire, même récente, nous enseigne que l’imposition d’une seule langue et d’une seule culture, au sein de sujets politico-territoriaux plurilingues et multiculturels, constitue, à terme, un puissant facteur de désintégration. Des exemples sont sous nos yeux et n’ont pas besoin d’être illustrés. A contrario, l’expérience de la Suisse, son essor et sa réalité quasi millénaire, dans le respect de ses langues et de ses cultures, devrait être pris comme exemple et point de repère.

Le succès du processus de colonisation au sein des institutions européennes et au niveau de certains décideurs politiques est loin de pouvoir être considéré comme un acquis. Là où nous en sommes, il s’agit d’une  réalité éloignée du citoyen européen qui ne le touche pas encore directement. Un citoyen qu’un certain bien-être matériel rend conformiste et confiant et qui est loin d’imaginer que, au sein de l’Europe réconciliée et unifiée, sa langue, sa culture et son identité sont menacées. A ce stade, la seule conséquence immédiate consiste en une fracture entre le citoyen et l’Europe institutionnelle, un éloignement, une froideur qui prend forme lors de certains événements, tels que, par exemple, les élections du Parlement européen. Une indifférence qui peut se transformer en hostilité active dès que le citoyen se trouvera concrètement confronté aux dégâts du monolinguisme et de la pensée unique.

L’Europe en marche a besoin de mettre en place, d’urgence, une stratégie pour la sauvegarde de sa diversité linguistique et culturelle. Les éléments à retenir sont multiples mais peuvent se résumer en la nécessité d’éviter le décollement entre les institutions européennes et le citoyen, et d’avoir un projet européen de société.

Le statut des langues, à l’intérieur des institutions européennes comme à l’extérieur, dans les contacts avec les citoyens, dans les programmes d'instruction nationale, dans les très nombreux cas d’espèce, ne peut pas être réglé à la dérobée. Il doit faire l’objet d’une régie savante, d’un accord, suivant les procédures habituelles des institutions démocratiques, se baser sur des paramètres objectifs qui tiennent compte, entre autres et avant tout, des critères de représentativité des Etats Membres au sein des institutions, de leur réalité démographique, de la notion d’Etat Membre fondateur, dépositaire du modèle original du projet d’intégration, des langues des pays d’accueil et d’autres nombreux facteurs, dans une optique de dialogue, de solidarité et de responsabilité partagée.

Dans ce contexte, la vocation d’Athéna consiste à participer à toute réflexion et action au sein des institutions européennes et des Etats Membres, en vue d’identifier les modes et les manières aptes à sauvegarder la diversité linguistique et culturelle de l’Europe qui constitue sa véritable richesse et son identité la plus profonde. Au vu de l’expérience et du savoir-faire dont elle dispose, notamment du fait de sa position privilégiée au cœur du processus d’intégration européen, Athéna poursuit le but d’épauler la Commission pour la prise en compte de l’intérêt général de l’Europe et des citoyens dans la mise en œuvre d’une véritable politique linguistique européenne.

Athéna se propose ainsi de poursuivre, avec le personnel des institutions européennes et en liaison avec les instances et les réseaux qui représentent les citoyens, un travail de réflexion et de mise en valeur de la diversité linguistique et culturelle de l’Europe communautaire dont les résultats, assortis de propositions d'actions, seront présentés à la Commission.

Le défi auquel nous sommes confrontés, face à la globalisation que tout uniformise et tout aplatit, est celui d’ancrer l’Europe communautaire à la civilisation, humaniste, créative et cultivée, dont elle est issue, respecter et valoriser les diversités culturelles et instaurer un effectif plurilinguisme des citoyens et des institutions, choix indissociables du processus d’intégration d’une Europe durable.

Le Comité exécutif

Athéna, Association pour la défense des langues officielles de la Communauté européenne

C/o Action et défense, Commission européenne, Joseph II 79 10/213, B-1049 Bruxelles ; tél. 0032(0)22992224, courriel : Cette adresse email est protégée contre les robots des spammeurs, vous devez activer Javascript pour la voir.

21 mai 2007.

Comme nous le laissions entendre dans notre préambule, ce plaidoyer pertinent, défendant avec force le plurilinguisme et condamnant tout autant la langue unique, a provoqué plusieurs réactions dont nous avons retenu la plus marquante émanant d’une personnalité appartenant à l'association « ESPERANTO-info ».

« Je suis tout à fait en accord avec votre analyse lue aujourd'hui au sujet des langues en Europe et de l'hégémonie de la langue anglo-saxonne. », écrit cet espérantiste. « Mais vous n'apportez aucune solution ! Or il existe une solution : la langue neutre Espéranto, recommandée par l'ONU et l'UNESCO ! Ne le saviez-vous pas ? Je vous joins un article de Claude Piron, ancien interprète à l'ONU et dans des instances internationales (voir son livre : « Le Défi des langues »). »

La réponse de Madame Anna Maria Campogrande, président d’Athéna, ne s’est pas fait attendre ; le propos est vif et le réquisitoire parfois virulent :

« (…) De manière préliminaire, je dois vous faire remarquer que le texte d’Athéna traitait des langues officielles de l’Europe et que vous, vous me parlez de l’ONU et de l’UNESCO. Je ne sais si ces grandes baraques internationales recommandent l’espéranto, a priori j’en doute, mais pour un Français, donc un Européen, ne pas faire la distinction entre des organisations internationales et l’Europe institutionnelle engagée dans un processus d’intégration relève, tout au moins, d’une impardonnable superficialité, je ne veux pas en dire plus.

A noter, par ailleurs, que les seules langues qui constituent matière communautaire et dont les institutions européennes sont censées se charger sont les langues officielles ; les langues minoritaires, régionales et dialectes demeurent sous la responsabilité exclusive des Etats Membres concernés.

(…) Nous avons une solution sans égale à la langue unique, notre solution est le plurilinguisme.

Contrairement à ce que vous avez l’air de croire, le combat d’Athéna n’est pas dirigé contre l’anglais mais contre l’usage d’une langue unique, commune ou véhiculaire, appelez-la comme vous voulez, mais cela aboutit au même résultat : un appauvrissement culturel vertigineux pour le citoyen européen et une atteinte au patrimoine linguistique et culturel commun de l’Europe.

Pour être franche avec vous, je vous dirai que, si j’étais devant le choix d’apprendre l’anglais ou l’espéranto, mon choix ne ferait aucun doute en faveur de l’anglais qui est une langue de culture, au même titre que l’italien, l’allemand, le français, l’espagnol, le grec, le latin, etc., et constitue avec les autres langues de culture notre patrimoine commun.

L’espéranto ne constitue nullement une solution à la complexe question linguistique européenne, l’espéranto représente un remède pire que le mal.

La philosophie de la langue internationale neutre où chacun parle sa propre langue chez soi et où l’espéranto serait réservé aux relations internationales est un bluff, une farce, une imposture qui peut marcher seulement aussi longtemps que le citoyen reste mal informé et éloigné de l’Europe, de sa réalité, de la nature de son travail quotidien, de ses compétences, de ses enjeux.

Le plurilinguisme, pour l’Europe, ce n’est pas un choix, c’est une obligation : c’est ça ou la désintégration, à plus ou moins court terme. On sera européen et plurilingue, ou l’Europe ne se fera pas, il n’y a pas d’autre issue.

Contrairement à ce qu’essayent de nous faire croire les promoteurs de la langue unique, un plurilinguisme diffusé et généralisé est possible, il faut tout simplement le vouloir et il faut s’en accorder les moyens. L’Europe institutionnelle dispose de tous les moyens juridiques, intellectuels, logistiques et financiers nécessaires à cet accomplissement de l’Europe des citoyens. Dans ce contexte, l’espéranto joue un rôle très négatif parce qu’il conforte dans leur position les fanatiques de la langue unique, le tout-anglais.

Sur un plan plus personnel, je vous dirai, en plus, et en guise d’exemple, que je ne suis pas du tout d’accord quant au fait que l’italien doive être parlé seulement en Italie, entre Italiens, comme dans un ghetto, au bénéfice d’une langue prétendument internationale quelconque et encore moins au bénéfice de l’espéranto, langue artificielle en plastique dépourvue de lymphe vitale ! Ce serait une sorte d’inadmissible duperie, une fraude envers l’Europe tout entière.

L’italien, tout en n’étant pas une langue imposée par le colonialisme, est “de facto” une langue internationale, apprise dans le monde entier pour l’accès qu’il donne à l’extraordinaire patrimoine archéologique, spirituel, artistique et culturel de la Péninsule. L’italien reste, en outre, la seule, vraie, naturelle “lingua franca” de la Méditerranée.

L’italien est une langue claire, harmonieuse, logique et rigoureuse, matrice de la créativité italienne, pièce maîtresse du patrimoine culturel de l’Europe, je ne vois vraiment pas pour quelle raison l’italien devrait, pour un seul instant, tout particulièrement au sein de l’Europe, laisser le pas à d’autres langues et, moins qu’à toute autre, à l’espéranto, pour se faire représenter. Laisser qu’un tel méfait s’accomplisse reviendrait à dépouiller l’ensemble des citoyens européens d’une partie irremplaçable de leur patrimoine culturel.

L’espéranto mise sur la langue unique, voire sur la pauvreté de l’esprit et sur l’ignorance généralisée du citoyen ; Athéna mise sur le plurilinguisme, sur la richesse et sur l’essor de l’esprit, sur une Europe cultivée et épanouie à la hauteur de ses origines et de ses traditions. Voilà, en synthèse, la différence fondamentale du génie qui nous anime.

L’espéranto n’est qu’une sorte de vampire qui suce les maigres ressources des bonnes volontés au moment où, à l’heure de la globalisation et de la dérive vers une langue unique, régie par les intérêts des entreprises multinationales, se pose le problème de la sauvegarde de la diversité linguistique et culturelle de l’Europe. En essayant, par tous les moyens et avec une approche sectaire, de dérouter les défenseurs des langues nationales et du plurilinguisme vers une autre langue unique, encore moins légitime que celle des multinationales, les espérantistes, avec un bagage de savoir pratiquement inexistant quant aux multiples fonctions de la langue, au-delà de celle de la communication, constituent un réel fléau.

Anna-Maria Campogrande

Président d’Athéna

Anna-Maria Campogrande est administrateur principal dans la Direction Générale des Relations extérieures de la Commission des Communautés Européennes. De nationalité italienne, Anna Maria Campogrande assume aujourd'hui, au sein de la Commission de Bruxelles, une responsabilité essentielle dans la défense et la valorisation des langues européennes, parmi lesquelles la langue française tient une place historique de choix.

Correspondance Polémia
04/06/07